Focus sur l’oeuvre d’Ahmed Abdulla

Réalisateur de la révolution égyptienne.

Héliopolis (2009) et Microphone (2010) du réalisateur Ahmed Abdulla, produits par une jeune équipe indépendante avec un budget modeste, passent pour des Ovni dans le ciel du cinéma égyptien. Mais, ils ne sont pas passés inaperçus dans la planète des festivals internationaux.

Tandis que le premier a été dans les sélections des prestigieux festivals de Toronto et de Marrakech, le second quant à lui, a été couronné, entre autres, par le Tanit d’or aux dernières journées cinématographiques carthaginoises (Tunisie). La raison de ce succès est simple. À l’instar des films de Chahine et de Yousry Nasrallah, on les considère comme des rumeurs annonciatrices de la fureur de la jeunesse qui a eu raison du symbole fort du régime égyptien, à savoir Hosni Moubarak. Aussi, dans ces films, les desseins d’une rupture sont clairement tracés, et le dessin d’un nouveau cinéma est esquissé : le cinéma-vérité qui mêle documentaire et fiction privilégiant le regard de la jeunesse, introduisant et développant un métalangage sophistiqué. Ainsi, sans détenir l’exclusivité, ces films sont parsemés d’ingrédients de ce nouveau cinéma qui va triompher certainement à l’ère des révolutions qui s’enchaînent en Orient.

En attendant un film manifeste, c’est surtout Microphone qui reste la référence en la matière puisqu’il propose de fortes et récurrentes caractéristiques tranchant avec les anciens codes. D’abord, la proximité. Les thèmes abordés s’éloignent de ceux chéris par les hérauts du système sclérosé pour s’enfoncer dans les préoccupations juvéniles et sociétales. Longtemps, l’artiste a vécu une schizophrénie que le réalisateur semble dépasser en choisissant le camp des jeunes. Prenant prétexte du personnage principal faisant une étude sur les minorités en Egypte et filmant aussi bien les gens qu’il rencontre que l’architecture cosmopolite, le premier film raconte avec nostalgie la vie quotidienne des habitants ordinaires de l’emblématique quartier cairote, Héliopolis connu pour sa belle architecture. À ce constat, s’opposent l’énergie juvénile et les rythmes endiablés de la musique underground en Alexandrie, que propose le deuxième film. Il offre à suivre de nombreuses histoires inspirées d’expériences réelles vécues par de jeunes artistes jouant parfois leurs propres rôles. À travers le quotidien de ces chats alexandrins, c’est la « problématique du droit à l’exercice de diverses formes d’expression et de conditions sociales et psychiques, notamment la frustration, et la répression, qui est posée », a affirmé l’acteur principal et producteur du film, Khaled Abol Naga. Ensuite, l’introduction et le développement d’un métalangage sophistiqué et élaboré, ne passe pas inaperçu. À l’ère de la technologie, la réflexion sur l’image devient nécessaire. Ainsi, dans Microphone par exemple, les outils de communication, comme le caméscope, le téléphone, les écouteurs, les ordinateurs etc., ont des statuts de personnages non-anthropomorphes. Seuls les personnages campant les rôles de représentants du régime vieillissant apparaissent sans un de ces outils perçus comme des signes de modernité. Une manière de traduire le fossé existant entre un régime finissant et une jeunesse en effervescence. Pour rehausser cette présence, le réalisateur invite carrément le célèbre Youssri Nasseroulah, réalisateur du récent Femmes du Caire, à initier avec ses étudiants une réflexion sur l’image et le cinéma.

Enfin, sur le plan cinématographique, les deux films se distinguent par des montages dynamiques, des caméras nerveuses, des prises de vue camera à l’épaule, une multiplication de plans épousant des rythmes musicaux adorés par la jeunesse. Microphone annonce la couleur dès le début avec un générique endiablé accompagnant les images d’un vendeur de cigarettes pourchassé par la police. Le même vendeur est tabassé par la police sous la caméra de la jeune Yousra Al Louzy campant le rôle de journaliste. Le basculement de la couleur au noir et blanc, lors de cette scène, ajoute de l’intensité à l’expression et de l’épaisseur au message. N’est-ce pas une scène similaire diffusée sur Facebook qui avait provoqué les premières secousses du séisme socio-politique égyptien ? Toutes ces caractéristiques ont conduit les jeunes à s’identifier à ces films, une jeunesse qui a baptisé Microphone « film de la Révolution. »

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