UNE “LOI ANTI-BURQA” QUI BURKANISE LA PENSEE

 Un masque peut en cacher un autre 

Belle femme derrière un voile rouge!
Belle femme derrière un voile rouge!

Je viens de recevoir le matériel de vote… On me pose la question suivante : êtes-vous pour ou contre l’initiative populaire « Oui à l’interdiction de se dissimuler le visage ». Ma première réaction est la surprise car je ne savais pas que l’on peut masquer son visage dans l’espace public, même à l’ère du masque. Imperceptiblement, je sombrais dans l’absurde : pourquoi cacher son visage ? Pourquoi carrément une loi pour une évidence ? Enfin, je ne comprenais pas cette question à choix binaire. Cela est d’autant plus confus que cette loi générale devient par une démarche langagière alambiquée « une loi anti-burqa ». Et comment cette dernière devient-elle une loi « anti-musulman », voire « sexiste » ? Au final, je réalisais que l’on me demande de choisir entre la peste et le choléra. Je suis pris en otage !

Deux fronts idéologiques s’affrontent sur le terrain de la citoyenneté. L’un ou l’autre choix me desserve car les deux extrêmes utilisent l’islam, un des éléments importants de mon éducation, pour dominer la scène politique et médiatique. Si je vote oui, c’est que je vais jouer le jeu de l’extrême droite qui veut conquérir le pouvoir en agitant les peurs inconscientes au lieu de réfléchir aux solutions des problèmes des citoyens. Pis, je vais soutenir un parti qui sème la xénophobie pour mieux se placer sur l’échiquier politique. Si je vote non je vais renforcer les tenants de l’idéologie islamiste, structurés ou pas, qui ne ratent pas une occasion pour attaquer la raison, la laïcité et la Démocratie. Pour sortir de ce piège, je me suis dit comment aurait voté mon grand-père qui n’est plus de ce monde. Et bien mon cher aïeul aurait choisi l’abstention qui est la position la plus proche de sa pensée, à défaut de conviction.

Mon grand-père est un homme bien. Il est toujours propre et bien rasé. Il est toujours élégant. Il est un bon musulman. Il est dévoué. Sa foi est inébranlable. Il prie toujours après avoir terminé de travailler. Souvent, il rassemble ses prières, le soir, une fois que ses dures besognes de paysan sont terminées. Il se sent protégé par Dieu et avant de décider il consulte sa conscience. Il est Imam mais il vit dans la crainte de se tromper. Son but c’est de faire du bien dans l’intention d’aller au paradis.

Il conseille le respect des 5 dogmes de l’islam. Mais il n’impose jamais. Enfant, je vivais avec joie et harmonie ces règles de la religion quand elles coïncidaient avec les évènements festifs. Mon grand-père y participe sans moraliser. Il se montre toujours clairvoyant et tolérant. Mais il est à cheval sur ses valeurs fondamentales : pudeur, respect, honnêteté, sérieux et travail. Et il me laissait toute la liberté avec laquelle j’allais atteindre cet objectif. Il laissait ma créativité et mon génie s’exprimer.

Il aime exhiber et dévoiler la beauté de sa femme. Un jour, ma sœur, influencée par sa copine aux idées islamistes s’est accoutrée d’un hijab noir. Mon grand-père n’a rien dit. Il a attendu patiemment qu’elle l’enlève. Il le prend et il le brûle. Quand on lui demande pourquoi, il a juste dit : « Cet habit n’est pas à nous. C’est triste, ce n’est pas beau et il ne peut rivaliser les couleurs de la robe kabyle »

Aujourd’hui, l’islamiste, chargeant plus sa barbe que sa tête, veut prendre sa place. Il se dit aussi bon musulman. Mais il a toujours son visage masqué par une barbe souvent sale. Il est à cheval sur sa tenue excentrique : kamis, chechia, chaussures de sport. Il voile sa femme avec un de ces accoutrements souvent inadaptés au milieu où il vit : hijab, Jelbab, burqa, niqab… Parfois, il tient un business de produits que le prophète utilisait à son époque devant la mosquée ou sur Marketplace. Sa foi est tellement faible qu’il va multiplier des stratagèmes pour se montrer fort. Il ne rate aucune prière et à l’heure fixe. Il travaille très peu. Il veut constamment protéger Dieu et avant de décider il consulte ses frères. Il est parfois Imam mais il veut répandre la crainte dans les cœurs des autres. Il a pour souci d’envoyer les autres au paradis. Il donne des leçons à tout va. Pour exister, il provoque son opposé semblable de l’extrême droite. Il fonctionne avec la logique du chameau Bactriane à deux bosses qui rigole en regardant la bosse du dromadaire.

Mon grand-père, paysan pragmatique et bon musulman, qui s’émerveillait devant la nature de ces camélidés s’adaptant aux difficultés du milieu, s’offusquait face à ce caméléon qui épouse toujours opportunément la couleur du sol où il se pose et s’étonnait des ripostes opportunistes des hérauts du nationalisme inadapté. Mais il aurait du mal à comprendre ces partis défenseurs de la liberté qui parlent de la peau de l’orange au lieu de s’intéresser au fruit. C’est pourquoi l’abstention qui respecte à la fois le cher acquis de voter et le sage refus de l’embrigadement intellectuel, traduit mieux sa posture vis-à-vis de cette initiative qui in fine vise à plus « burqaniser » la pensée qu’à dissimuler le visage. « La liberté, c’est l’indépendance de la pensée. », aurait-il crié avec Épictète.

Tahar HOUCHI, journaliste et Directeur du Festival International du Film Oriental de Genève.

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