Des films et des révolutions

Plusieurs pays d’Orient ont connu de spectaculaires révolutions populaires. Le monde a exprimé son étonnement. Pourtant, ces révoltes qui sont le résultat d’un processus de changement socio-historique que les cinéastes, rivalisant en originalité, créativité et perspicacité, ont justement accompagné, n’avaient-elles pas été annoncées par l’œil des caméras ?

Malgré la férocité des États, mise en place à la veille des indépendances, ces pays ont connu une dynamique de résistance et d’opposition politique forte. Ces États qui se définissent essentiellement comme musulmans et arabes, ne représentent pas la réalité des peuples. Multiples ont été les révoltes notamment des minorités en Algérie, en Irak, au Maroc etc. qui ont été réprimées dans le sang. Cette violence inouïe, les réseaux et les moyens de communication des pouvoirs autoritaires post-in- dépendants ont toujours fini par la cacher et ont réduit les aspirations légitimes des uns et des autres à néant. Dans ce contexte, le cinéma est devenu le porte-voix des peuples brimés, le témoin des sociétés grugées et le défenseur des jeunes réprimés. Le cinéma qui participe à la transformation des mentalités constitue un espace foisonnant où l’on retrouve beaucoup de signes annonciateurs des bruits et des fureurs d’aujourd’hui. C’est ce que certains films présentés au Fifog démontrent avec éclat. L’Egyptien Youssef Chahine, avant de mourir, avait commencé un film qui a été terminé par Khaled Youssef : Le Chaos. À travers ce film, comme son titre le suggère, le défunt cinéaste dresse le portrait d’une société, pri- se entre religion et pauvreté ; corruption et répression politique, au bord de l’explosion. Ainsi le quartier cairote, théâtre de l’action, a été présenté comme l’image du pays, similaire à un volcan au seuil de l’irruption. Son compatriote le trentenaire Ahmed Abdullah, dans son film Microphone, terminé avant le séisme politique qu’a connu le pays, a annoncé également cette explosion (lire critique ci-dessous).

En Tunisie, le régime reposait sur une famille de voyous et des fonctionnaires zélés, mais insatisfaits. Dans ce contexte, les cinéastes étaient peu enclins à révéler publiquement leurs opinions politiques. La censure et la police veillaient et certains ont payé cher leur audace.Ainsi, Nouri Bouzid a connu les froides geôles du régime de Ben Ali. Nonobstant, grâce à l’ingéniosité et quelques jeux subtils, à l’instar des réalisateurs américains face aux gardiens du code Hayes, plu- sieurs cinéastes tunisiens ont réussi à tromper la vigilance des censeurs et à offrir quelques œuvres subver- sives. Parmi elles, figurent Khorma, le crieur de bonnes nouvelles, de Jilani Saâdi qui met en scène un la- veur de morts qui veut révolutionner sa profession eu égard à la résistance à laquelle il est confronté, Cinecitta de Brahim Letaief dont la camera suit un groupe de cinéastes qui dévalisent une banque pour faire leur film, suite au refus de la commission d’aide, et surtout Making of de Nouri Bouzid qui donne la parole à une jeunesse désœuvrée prise entre le marteau de l’islamisme et l’enclume du régime autoritaire. Ces films ont aussi annoncé à leur manière l’imminence de l’explosion juvénile. Le temps a fini par leur donner raison.

En Algérie, plusieurs films s’inscrivant dans une démarche de la pro- motion de la culture berbère sont en réalité des hymnes à la liberté et à la démocratie. La Colline oubliée d’Abderahmane Bouguermouh, La Montagne de Baya d’Azzedine Meddour et Machaho de Belkacem Hadjadj sont autant d’œuvres qui témoignent du refus des Berbères de se soumettre à un État jacobin ne voyant l’unité que dans l’unicité. Une résistance qui passe en Algérie et au Maroc par la création, ces dernières années, de festivals dédiés à la promotion des films berbères. Deux films phares illustrent cette résistance sur le terrain et l’illégalité du pouvoir en place. Le premier est Messages kabyles de Nadia Dalal, ou le retour au pays et l’implication de l’artiste et écrivain Chamy Chemini dans la révolte des Kabyles contre la misère et l’injustice sociale en 2001 et qui a fait, selon les chiffres officiels, une trentaine de morts et 471 blessés. Le deuxième est Le Grand Jeu : la campagne présidentielle de Malek Bensmaïl. Par ce documentai- re, censuré en Algérie et en France puisqu’il n’a jamais été diffusé sur la chaîne LCP qui l’avait pourtant acheté, déprogrammé à deux reprises et à la dernière minute sur TV5 Monde, le réalisateur jette le doute sur la volonté du système algérien d’opérer un changement malgré les apparences. En effet, à travers la couverture de la campagne électorale d’Ali Benflis, candidat indépendant à la présidentielle algérienne de 2004, observée par l’Union européenne, contre le favori du système Abdelaziz Bouteflika, le documentariste algérien montre que le régime est prêt à tout pour garder le statu quo. Les élections ont été gagnées par Bouteflika avec un grossier score de 85,1%. Aujourd’hui, l’Algérie continue de financer des films glorifiant la guerre de libération, à l’instar du dernier film de Rachid Bouchareb, Hors-la-loi, à coup de millions d’euros pendant que de nombreux jeunes cinéastes cherchent des financements pour réaliser leurs films. Ces films projetés, ce mois-ci, sur les écrans franco-suisses montrent que le cinéma finit toujours pas échapper au contrôle des censeurs, malgré les embûches, les menaces et le manque de moyens. Un cinéma qui contribue aux transformations sociales et politiques de ces pays en pleine mutation. Là où les télévisions et les médias, pris dans l’urgence, pêchent et s’égarent parfois, les films indépendants donnent à voir une réalité plus éclairée.

Par Idir Ait Yahia

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