Omar Sharif

« J’ai oublié de te dire… »

De tous les comédiens étrangers, Omar Sharif est incontestablement celui qui a marqué le plus le cinéma mondial. Il a su s’imposer aussi bien à Hollywood qu’en Europe en passant par son pays natal l’Égypte, sans jamais se laisser enfermer dans des rôles liés à ses origines. Après une longue carrière, vivant entre Paris et Le Caire, il continue à tourner et à participer aux festivals. Nous l’avons rencontré lors du 21e Festival Théâtre au cinéma de Bobigny où il présentait le film « J’ai oublié de te dire » de Laurent Vinas-Raymond. L’occasion de revisiter plus de soixante ans de carrière auréolés de succès.

Kaële : J’ai oublié de te dire… Pourquoi avoir accepté de jouer dans ce film ?

Omar Sharif : J’ai tout de suite accepté. Le sujet me touche beaucoup. Ma démarche aussi va dans le sens de soutenir de jeunes créateurs. Mon jeune metteur en scène a été très chaleureux et sensible. L’actrice Emilie Dequenne qui m’a donné la réplique, la tête de mule ! (rire), est brillante. Je suis content d’avoir participé à cette aventure.

K. : C’est la deuxième fois que vous acceptez un rôle où vous passer de vie à trépas ?

O.S. : Ce qui est horrible, c’est de mourir à petit feu et que l’on subisse toutes sortes de violences et aussi un acharnement thérapeutique. Je sais que certains ont refusé le rôle d’Ibrahim pour cette raison. Mais il ne faut pas avoir peur de la mort. Une bonne prestation, dosée d’émotion, est éternelle. Elle ne meurt jamais.

K. : Les femmes, le bridge et les chevaux sont vos passions… Sont-elles toujours aussi vivantes ?

O.S. : En effet, ce sont des passions et des flammes qui m’ont donné beaucoup de joie. Avec l’âge, la passion des femmes devient difficile à entretenir, et celle du bridge s’est bien amoindrie. Fort heureusement, il me reste les chevaux de course !

K. : Parmi les premiers grands rôles, figure celui joué aux côtés de Faten Hamama dans Ciel d’Enfer, présenté à Cannes en 1954. Comment cela s’est-il passé ?

O.S. : Quand Chahine m’a choisi pour jouer dans Ciel d’Enfer, il a posé comme condition l’acceptation de Faten Hamama. Je suis allé la voir et elle m’a demandé de jouer pour elle. Je me suis dit que je ne devais pas rater mon coup. J’ai choisi de lui jouer une tirade de Shakespeare rapidement et en anglais. Je savais qu’elle n’allait pas comprendre et qu’elle n’oserait pas le dire. En effet, elle a trouvé cela excellent. On a donc joué ensemble et on s’est même mariés.

K. : C’est grâce à ce film que vous avez été découvert à Cannes par Baratier…

O.S. : Tout à fait. Il m’a proposé de tourner dans Goha le simple, d’après le scénario de Georges Schéhadé. Pendant le tournage, qui a duré sept mois, mon fils est né.

K. : Pour revenir à Faten Hamama, vous avez embrassé la religion musulmane pour l’épouser…

O.S. : Oui. Je suis catholique orthodoxe de naissance et j’ai du faire ma conversion pour me marier avec elle. Nous avons tourné cinq films ensemble et nous avons eu un fils. Notre enfant Tarek qui gère des restaurants en Egypte m’aide beaucoup à couvrir mes dépenses. Il s’est marié plusieurs fois et a fini par avoir trois enfants avec qui je passe beaucoup  de temps dès que possible.

K. : Après le divorce, vous avez multiplié les conquêtes…

O.S. : En fait, on a du se séparer sans divorcer. Après le début de ma carrière à Hollywood et ses multiples tournages, on s’est entendu à rester mariés jusqu’à ce que l’un de nous trouve une autre personne lui convenant. Il a fallu attendre vingt ans pour qu’elle m’appelle pour m’annoncer son intention de divorcer suite à la rencontre avec son présent mari. Me concernant, j’ai eu beaucoup de succès en Amérique. J’étais une espèce d’homme rare. De plus, j’ai appris très vite appris à éviter les sujets qui fâchent. Par exemple, dans ma carrière, j’ai appris à ne pas demander qu’elle était sa religion à la femme avec qui je sortais avant de l’avoir embrassée (rire).

K. : Étiez-vous prédestiné à faire du cinéma ?

O.S. : Mon père était un négociant en bois. J’étais gros et ma mère a décidé de me mettre dans une école anglaise. Très vite, j’ai perdu du poids et appris l’anglais car la nourriture était horrible (rire). Maigrir et apprendre l’anglais m’ont énormément aidé dans ma carrière. Sans l’anglais et mon physique je n’aurais pas été pris pour jouer dans Lawrence d’Arabie de David Lean, avec Peter O’Toole.

K. : C’était en 1962. Ce fut un rôle déterminant ?

O.S. : Oui. À la fin du film, j’ai cru rentrer chez moi tranquillement. Je ne pensais pas du tout que j’allais devenir une star. Ce rôle a complètement changé le cours de ma vie, notamment suite à ma nomination aux Oscars.

K. : Vous avez campé un rôle d’Arabe, malgré cela vous avez pu échapper à ce ghetto, très répandu à Hollywood à l’époque. Quel est votre secret ?

O.S. : Après Lawrence d’Arabie, comme je vous le disais, je pensais rentrer tranquillement chez moi. Mais, David Lean, qui me considérait comme son fils, m’appela. Il m’informa aussitôt que j’allais devenir une grande star et que j’allais avoir beaucoup de propositions, mais après m’avoir dit cela, il me conseilla de refuser tous les rôles d’Arabes. Et pour obtenir mon accord, il me tend alors 15 000 dollars et me dit : « Comme cela tu m’es redevable. Cette somme sera à rembourser à chaque fois que tu accepteras de jouer un rôle d’Arabe. » Et, cela m’a aidé à jouer des rôles impensables pour moi. J’ai même joué le rôle d’un Allemand dans La Nuit des généraux (1967) d’Anatole Litvak. C’est pendant le tournage de Genghis Khan (1965) avec Françoise Dorléac que David Lean me proposa d’interpréter le Docteur Jivago.

K. : Quels sont les critères qui vous poussent à accepter un rôle ?

O.S. : D’abord, le metteur en scène. Il est important de s’entendre bien avec lui et de se trouver des affinités. Ensuite, il faut aimer le film, les gens qui y participent. C’est un travail assez long, sur plusieurs semaines, alors il est important de s’entendre. Enfin, il faut aussi évaluer la situation financière. J’ai connu un passage à vide à cause de mon âge et de mon physique. Les consommateurs de cinéma aujourd’hui sont les jeunes, alors la tendance est de faire des films avec des jeunes. Les vieux restent chez eux et regardent la télévision…

K. : Puis vint le César… avec Ibrahim et les fleurs du Coran de François Dupeyron, d’après un scénario d’EricEmmanuel Schmitt.

O.S. : J’ai beaucoup aimé tourner Ibrahim et les fleurs du Coran. Je me suis beaucoup investi dans ce personnage que l’on a construit scène après scène. Mais je ne pensais pas recevoir un César. Le soir de la remise des César, Daniel Auteuil que j’apprécie beaucoup, nominé également, est venu me dire : « Ce soir, c’est moi qui ai gagné ». Pourquoi ! lui ai-je répondu : « Car j’ai voté pour vous » me dit-il avant de disparaître aussitôt. Cela m’a bouleversé.

K. : Quels sont les derniers films qui vous ont marqué ?

O.S. : Je n’en regarde pratiquement pas. À mon âge, je n’ai plus la patience. J’aime beaucoup les films muets, notamment ceux de Charlie Chaplin qui ont bercé mon enfance sans qu’à l’époque je n’en saisisse toute la profondeur. C’est bien plus tard que j’ai compris les conditions dans lesquelles évoluaient ses personnages. Je suis issu d’une famille riche qui m’a donné tout ce que je voulais. Dans ce sens, le cinéma de Chaplin m’a fait beaucoup de bien. Autrement, durant les trente derniers mois, je n’ai vu que trois films que j’ai d’ailleurs adorés : ET, Billy Eliot et Amadeus de Milos Forman.

K. : Quel regard portez-vous sur votre carrière ?

O.S. : Il n’est pas dans ma nature de m’attarder sur le passé ni de me projeter dans l’avenir. Je vis le moment présent. J’essaie de profiter de mes petits-enfants et de ce que la vie m’offre de délicieux.

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