Une édition sous le signe du militantisme

71E FESTIVAL DE CANNES

La 71e édition du Festival de Cannes est plus que jamais militante et engagée. Cela s’est traduit, entre autres, par la programmation, ainsi que le soutien qui leur a été apporté, de plusieurs réalisateurs interdits de voyage ou tout simplement souffrant d’atteinte à leur liberté ou aux biens moraux. Paradoxalement cette censure qui prend aussi, parfois, des formes de menaces ou de pression de la part d’acteurs sociaux extrémistes, les rend plus que présents sur la Croisette. Leurs films finissent par ressembler à des prières que les festivaliers répètent inlassablement sur la Croisette. Pour cette édition, les plus médiatisés sont surtout l’Iranien Jafar Panahi et le Russe Kirill Serebrennikov sélectionnés en compétition. L’Iran est réputé pour son cinéma prolifique et de qualité incontestable. Mais il est connu aussi par son système de censure qui tente de réduire au silence par tous les moyens les cinéastes. Certains, comme Mohsen Makhmalbaf et Bahman Ghobadi sont contraints de quitter l’Iran et de réaliser leurs films à l’étranger. D’autres subissent l’interdiction de travailler librement. C’est le cas de Jafar Panahi qui participe à Cannes avec son dernier film 3 Visages. Vivant sous la menace d’une condamnation à 6 ans de prison — une peine confirmée, mais pas encore appliquée — Panahi n’est pas à son premier Cannes raté. Il y a quelques années, sa chaise de membre de jury est restée symboliquement vide. Le Russe Kirill Serebrennikov, qui participe à Cannes avec L’été, quant à lui, est assigné à résidence suite à son opposition déclarée au régime de Vladimir Poutine qu’il accuse de fraude massive et de détournement d’argent public. Cela est aussi le résultat d’une censure mise en place par le régime de Poutine qui ne tolère pas de débordement artistique. Malgré le large soutien reçu de la part de nombreuses personnalités artistiques russes et étrangères, le directeur artistique du Centre Gogol, un théâtre contemporain moscovite, n’a pu suivre Cannes que de loin, et trouve son accusation absurde. Avant ces deux réalisateurs séquestrés, d’autres artistes ont subi les foudres de la censure qui les a empêchés de voyager pour présenter leurs films à Cannes. C’est le cas du réalisateur iranien Mohammad Rasoulof qui, suite à une convocation de la police la veille du voyage, a raté la présentation de son deuxième long métrage, Au revoir, dans la section un Certain regards, en 2011. En 2013, il rejoint Cannes pour présenter son film Les manuscrits ne brûlent pas. En  2017, il obtient le Prix un Certain regard pour Un homme intègre. Cinq mois plus tard, accusé de propagande contre le régime, il se fait confisquer son passeport à l’aéroport de Téhéran et est mis sous surveillance policière. Plus loin dans le temps, en 1975, Mohammed Lakhdar-Hamina suite à la sélection de Chronique des années de braise, a reçu des menaces de mort de la part des anciens membres de l’OAS. Cela ne l’a pas empêché d’aller au festival et de repartir avec la Palme d’or. Rachid Bouchareb, lui aussi, a provoqué de grandes tensions, avec la sélection de Hors-la-loi, au point où des extrémistes ont même appelé à manifester devant la salle de cinéma. La liste des réalisateurs ayant été victimes de censure et de pression peut être allongée à souhait. Et ces pratiques ne sont pas l’apanage des dictatures. On se rappelle en 1955, l’intervention de l’ambassadeur des États-Unis en Italie qui a réussi à empêcher la présentation du film Graine de violence, de Richard Brooks ou encore l’interdiction de La Bataille d’Alger, pendant plusieurs années en France. En résumé, chaque époque a ses règles rigides, ses gardiens et ses artistes qui font preuve de courage en bousculant les limites. Les festivaliers sont sensibles à cela, le jury présidé par Cate Blanchett le sera-t-il ? À voir le 19 mai quand le palmarès sera dévoilé.

T. H.

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