Entretien avec le réalisateur Kurde Iranien Bahman Ghobadi

La pression psychologique et le mépris ont atteint un seuil intolérable.

Primé au dernier festival de Cannes pour son film « Les Chats persans », le réalisateur iranien Bahman Ghobadi et sa compagne américano-iranienne Roxana Saberi, journaliste de la BBC, coauteur de cette œuvre clandestine, ont été incarcérés l’année dernière par le gouvernement iranien. Lui, pour ses critiques formulées à Cannes contre le régime iranien, a été libéré après une semaine de détention, elle pour espionnage au profit des États-Unis est restée emprisonnée du 31 janvier au 11 mai 2009. Suite à ce harcèlement étatique, l’auteur du film et sa compagne ont choisi l’exil aux États-Unis, en Europe et au Kurdistan irakien.

Kaële : La première question que l’on a envie de vous poser : qu’est-ce qui se passe aujourd’hui en Iran ?

Bahman Ghobadi : Le peuple est bâillonné. Les artistes sont harcelés. Tout doit être validé par les guides suprêmes d’en haut. En tant que Kurde iranien, je ne me sens pas représenté. Les manifestations ont été un prétexte pour exprimer les frustrations accumulées, les colères contenues et les privations vécues. Les jeunes ne peuvent plus tolérer les multiples interdits : boire, chanter, sortir, embrasser, vivre… Cela est d’autant plus vrai quand l’on sait que tout le monde vit en cachette au rythme des capitales occidentales les plus branchées.

K. : Quelle est la situation des Kurdes en Iran ?

B.G. : Les Kurdes ne sont pas encouragés et aidés en Iran. Pis, ils sont surveillés et suspectés. 100 ans après la naissance du cinéma, je suis le premier cinéaste kurde à faire du cinéma en Iran. Cela vous permet peut-être de mesurer le degré de la marginalisation. La situation des Kurdes iraniens n’est pas meilleure que celle des Kurdes dans les autres pays. Tous les pays où il y a des Kurdes cherchent à effacer la culture et l’histoire kurde.

K. : Pourquoi avez-vous déclaré que vous ne pouviez plus vivre et travailler en Iran ?

B.G. : Il est devenu impossible pour moi d’y travailler et d’y vivre dignement. Je viens d’être emprisonné et libéré sans raisons apparentes même si je sais que cela est dû à mes propos critiques tenus à Cannes. En quittant l’Iran, je m’éloigne des fous d’Allah. Le traitement que l’on me réserve n’est pas particulier puisque tous mes collègues subissent le même sort. La pression psychologique et le mépris ont atteint un seuil intolérable.

K. : En prison avez-vous été maltraité ?

B.G. : Naturellement. Une fois, on m’a dénudé et demandé de me laver. Or, en pensant au passage coranique préconisant le nettoyage des impuretés avant la mort, je pensais que j’allais mourir. Heureusement pour moi, c’est cynique de le dire, ce n’était que de l’intimidation. Je ne connaissais pas mes ravisseurs puisqu’on ne m’a montré aucun papier. Ainsi va l’Iran. Les polices secrètes plongent le pays dans la confusion, la criminalité et la corruption. Le nombre de personnes qui travaillent pour les services du régime est impressionnant au point de répandre la paranoïa dans toutes les couches de la société. Nonobstant, rien ne peut empêcher le peuple de prendre les chemins de la liberté.

K. : Cela ne vous a pas empêché de tourner au risque de votre vie et de celles de votre équipe. Votre dernier film, primé à Cannes, « Les Chats persans » a été réalisé sans autorisation et secrètement pendant 17 jours. Vous avez joué au chat et à la souris avec la police. Pouvez-vous nous décrire les conditions de tournage ?

B.G. : Le film plonge dans la scène underground de Téhéran et la dévoile au monde qui en ignore jusqu’à son existence. Les gens impliqués dans le tournage ont vécu dans la peur du régime. Pour éviter les dénonciations, certains musiciens ont dû jouer dans des étables à la campagne. Quand on décide de braver le danger et de tourner un film en Iran sans autorisation, et de surcroît sur la scène underground, votre main ne peut que trembler. Il m’est arrivé de tourner en moto, avec une seule caméra, et prêt à m’éclipser à chaque apparition de la police. C’est vraiment du Tom et Jerry !

K. : A t-il été facile de trouver une équipe pour travailler avec vous ?

B.G. : Sans autorisation gouvernementale, les techniciens et les acteurs refusent de tourner. Le pouvoir contrôle tout et a la main mise sur tout. Sa matraque est prête à frapper fortement dès que quelqu’un s’éloigne du chemin tracé. Cette dictature a poussé les CULTURE gens à se créer des espaces libres qui échappent au contrôle et à la censure. C’est là que l’on peut puiser des sujets aussi multiples qu’originaux.

K. : Avec ce film vous avez tracé une autre manière de faire des films. Pourquoi ce changement de cap ?

B.G. : Parfois, il faut choisir ses priorités. J’ai volontairement pris le parti de mettre au premier plan une réalité socio-politique au détriment des considérations esthétiques. On ne peut pas éternellement se cacher derrière l’esthétisme et faire l’impasse sur la société iranienne en arrangeant ainsi la censure. C’est cela d’ailleurs qui a rendu le cinéma iranien de ces dernières années fade et sans intérêt.

K. : Votre camera plongée dans la société annonce les événements dramatiques qui secouent l’Iran. Croyez-vous que cela puisse avoir des répercussions positives sur la société ?

B.G. : Oui. La camera ne peut que prendre acte de cette marche vers l’espoir et la liberté. En revanche, j’ai peur pour les cinéastes. Non pas en matière de soutien au cinéma, mais surtout pour toutes les arrestations qui interviennent après l’accalmie. Le régime issu du coup d’Etat est très en colère contre les cinéastes qui ont supporté Moussave.

K. : Comment voyez-vous l’avenir ?

B.G. : Aujourd’hui, on ne connaît pas l’avenir. Les jeunes s’exilent. Mais les gens osent plus qu’avant. Ils sortent dans les rues au risque de leur vie. Quand je vois cela, je me dis que l’espoir est permis.

K. : L’islam interdit l’image aux yeux des intégristes. Comment le régime et les cinéastes iraniens ont-ils justifié la production d’images dans la République islamique ?

B.G. : Contrairement à certains autres pays musulmans, l’Iran a une longue et ancienne tradition iconique et artistique : art, miniatures, peinture etc. C’est dans notre culture. Aussi, les fondamentalistes ont essayé de tirer profit de cela. L’artiste a, de son côté, avancé l’argument selon lequel les gens ont besoin de musique pour se rapprocher de Dieu. D’ailleurs, le Coran est très musical, et déjà au temps du prophète et des califes, on a beaucoup encouragé la poésie et la musique. Mais par moment les fondamentalistes ont peur de cela, alors ils les interdisent.

Propos recueillis par Tahar Houchi

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