Une gabegie royale 16e Festival international du film de Marrakech

Cette édition qui se tient depuis le 2 décembre se distingue par une grande désorganisation qui est devenue une marque de fabrique.

La majorité des festivals des pays arabes se distinguent par une désorganisation qui est devenue une marque de fabrique. Le Festival du film de Marrakech, souvent comparé à tort à Cannes, ne fait pas exception. Cela s’explique par le fait que les organisateurs confondent opérations de charme et de séduction avec la mise en valeur de l’écriture cinématographique et la promotion des cinéastes du pays. La manifestation marrakechoise, qui jouit d’un soutien du royaume et de réseaux parisiens, cultive un mythe qui est en train de s’effriter.

En tout cas, c’est ce qui ressort des voix artistiques contestataires qui s’élèvent, des déceptions des professionnels victimes de la désorganisation, et des cinéphiles qui passent des journées pour récupérer un badge, ou encore des divers travailleurs du festival se plaignant des conditions de travail qui sont loin du minimum syndical. En réalité, chaque année on assiste au même scénario qui se répète. Il y règne une gabegie royale dont les frais sont payés par les professionnels, notamment les journalistes.

Nombreux sont les journalistes ayant fait des demandes d’accréditation des mois à l’avance sans jamais avoir leur sésame. Si les responsables des journalistes nationaux se montrent gênés par la situation et tentent d’aider tant bien que mal, les employés de l’agence parisienne “Le Public Système Cinéma”, organisatrice de l’événement et gestionnaire des accréditations des journalistes étrangers, affichent une indifférence totale face à la galère de certains professionnels. Quand on les coince, ils excellent dans l’art de l’esquive.

Alain, photographe français, rencontré en fin de journée, nous affirme : “Je suis venu de Paris pour photographier le tapis rouge. Je poirote depuis 9h du matin. Le tapis rouge va commencer dans deux heures, et je n’ai toujours pas mon badge.” Et d’ajouter : “Chaque année, c’est la même histoire. L’an passé, toute l’équipe d’un grand journal français n’a pas pu y avoir accès !” De son côté, Jessica, professionnelle suisse, sous son parapluie, se plaint de la longue queue qu’elle doit faire pour récupérer son badge : “Je ne comprends pas pourquoi on mélange tous les professionnels dans cette interminable queue.” Les cinéphiles expriment également leur colère devant la lourdeur de la gestion des accréditations. Alors qu’une centaine de personnes fait la queue sous une fine pluie, seules deux personnes gèrent l’attribution des accréditations. “On est incapables de faire un festival. On est allés chercher les Français et ils nous imposent leur désorganisation et bureaucratie”, nous confie Zined, une cinéphile marrakechoise.
Le lecteur peut se demander pourquoi consacrer un article à ces problèmes alors que le tapis rouge grouille de célébrités. La réponse est tout simplement que nous sommes aussi victime de cette gabegie et indifférence.

Dans le camp des cinéastes marocains, le débat s’enflamme. Des voix s’élèvent pour se poser la question de l’utilité de ce festival. “Que signifie un festival international de cinéma dans un pays où ses cinéastes, ses acteurs, ses critiques, ses journalistes et ses organisateurs ne sont pas mis en avant, ne sont pas valorisés et sont relégués au second plan, tels des figurants”, s’interroge Mohamed Mouftakir, cinéaste casablancais. En effet, cette question est pertinente, puisque plusieurs de ses confrères ne sont pas invités. Et il termine avec une cinglante conclusion qui considère que le festival est devenu un “beau corps sans âme” et “arbre qui a commencé si florissant est devenu un concept qui s’essouffle chaque année un peu plus”.

Les erreurs et le manque de respect des gens des métiers du cinéma, grossissant les rangs des contestataires, confirment ces propos. Ainsi, la puissante machine médiatique qu’actionne l’agence de presse parisienne, en imposant à la fois un mythe d’une organisation parfaite et une image lisse du Maroc, ne va pas suffire pour maintenir le mirage.

De Marrakech : Tahar HOUCHI

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