«Pour que la mort d’Ahmed ne soit pas vaine !»

Le Courrier d’Algérie : En 2005, ton fils Ahmed a été tué par erreur par un soldat israélien. Nonobstant, tu as accepté de donner ses organes à des enfants dont certains sont Israéliens. Qu’est-ce qui a motivé ton acte « humain et courageux » pour certains et « incompréhensible » pour d’autres ?

Ismaël Khatib : Le plus difficile dans la ville est qu’un individu perde son fils dans des conditions tragiques. La perte de mon fils Ahmed est l’une des périodes les plus pénibles de ma vie. Beaucoup d’enfants vivent aujourd’hui grâce aux organes d’Ahmed. Pour moi, Ahmed continue à vivre en eux. Mon acte est avant tout un acte humain qui peut servir la cause palestinienne mieux que les actes de violence. La résistance est donc multiple. Par cet acte, j’ai voulu montrer au monde que les Palestiniens ne sont pas tous des kamikazes, mais au contraire, ils aiment la vie et ils savent répondre à la violence de son voisin par l’amour sans pour autant céder leurs droits fondamentaux.

Répondre à la haine et à la mort par l’amour et par la vie, ce sont des mots faciles à dire…Mais pas forcément faciles à vivre…Comment as-tu vécu cela ?

Naturellement que cela a été vécu durement. Mais j’ai eu suffisamment de force pour surmonter les problèmes et les pressions sociales et psychologiques et choisir le chemin de la sagesse. La douleur rime avec l’espoir. J’ai voulu que cela ne se reproduise plus et montrer que les jeunes qui meurent en Palestine, contrairement aux dires des Israéliens, n’est pas forcément dû à des affrontements. Mon fils Ahmed a été tué en jouant normalement dans la rue. Le soldat israélien a pris son jouet pour une arme réelle et il lui a tiré dessus.

Vous avez prolongé votre acte de sagesse et de générosité. Vous avez entrepris plusieurs actions dont l’ouverture d’un centre pour la culture et la paix, soutenu par les Italiens, à Jénine… Pouvez-vous nous en parler ?

Dans un premier temps, j’ai utilisé la presse pour sensibiliser l’opinion publique sur la situation dramatique dans laquelle évoluent les enfants palestiniens. Ahmed n’est pas un cas unique. Durant les dernières années, plus de 700 enfants sont tombés sous les balles des militaires. Naturellement, pour eux, cela n’est qu’une question de statistiques. Mais après que les médias aient parlé longuement sur Ahmed, le soldat israélien s’est mis à réfléchir à deux fois avant de tirer sur les enfants. Ensuite, nous avons ouvert un centre pour la culture de la paix à travers diverses actions artistiques et programmes culturels. Le centre est fréquenté par les enfants à qui on essaye de transmettre des valeurs humaines universelles et l’amour de la patrie. Je fais tout cela pour que la mort d’Ahmed ne soit pas vaine !

Vous avez aussi accepté de participer à la réalisation du film Le Cœur de Jénine qui raconte la mort tragique de votre fils Ahmed et le don de ses organes. Quel est le message que vous avez voulu transmettre à travers ce film ?

Le cinéma est devenu un moyen puissant de communication. A travers ce film c’est toute la situation de l’enfance en Palestine que nous avons voulu mettre en évidence. J’espère que ce film pourra contribuer à conscientiser aussi bien les acteurs que les observateurs du drame que nous vivons quotidiennement.

Votre acte, comme le montre bien le film, est un acte humain, mais très politique, à la limite, dangereux pour les Israéliens, de par son prolongement dans le temps…Qu’en pensez-vous ?

Les Israéliens ont détruit plusieurs fois ma maison, j’ai connu leurs geôles et j’ai vécu longuement le poids de la colonisation. Cela a fait de moi un homme mûr politiquement. Mon expérience m’a appris que la résistance ne se fait pas seulement avec les armes. La meilleure des résistances est celle qui répand la paix sans céder ses droits. Le Palestinien n’a pas comme intention de tuer, mais de vivre dans sa dignité. La culture de la paix permet de gagner des sympathisants à notre cause.

Le film parle aussi des pressions exercées sur vous par l’entourage et le contexte politique. Comment avez-vous vécu cela ?

Au début les choses étaient pénibles. Mais au bout de 2 ans, quand les gens ont vu que mon acte fait parler de la Palestine partout dans le monde, ils ont compris l’importance de mon geste.

Et comment le film est-il reçu ?

Très demandé à l’étranger et négativement en Israël où on a trouvé que le film prend position en faveur des Palestiniens. Cela est d’autant plus vrai qu’il y a une scène d’un kamikaze qui lisait son testament avant d’aller s’exploser… Mais on a fini le présenter au festival de Jérusalem où il a eu un bon accueil de la part du public.

Dernier mot ?

J’espère que les enfants qui portent les organes d’Ahmed pourront un jour participer à la libération du peuple palestinien du joug de l’occupation.

T.H

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