Mon film est un témoignage

Entretien avec le réalisateur Algéro-suisse Mohamed Soudani.

Dans ce documentaire, le cinéaste filme le retour de M. Graffenried en Algérie à la rencontre des personnes qu’il avait filmées lors de ses divers voyages durant la décennie écoulée.

LIBERTÉ : Qu’est-ce qui a motivé la réalisation de ce film ?

J’ai quitté l’Algérie il y a 30 ans. Mais je n’ai pas coupé le cordon ombilical. J’ai toujours voulu faire quelque chose. Ma rencontre avec Graffenried et la complicité réciproque qu’on avait cultivée a donné naissance à ce film.

De quoi avez-vous voulu parler ?

De l’Algérie, confuse, qui se cherche et qui ne donne pas de réponses à ses enfants. Le film est une question qui invite au débat. Il n’est point accusateur, mais c’est un témoignage de ces personnes blessées, meurtries et noyées dans la solitude.

Pourquoi ce titre un peu publicitaire ?

Guerre sans images… et voir des images, cela semble paradoxal. Mais il y a beaucoup de choses qu’on n’a pas pu voir. Ce film est une goutte qui peut s’ajouter à d’autres à même d’éclairer la situation. J’ai essayé de rapporter à travers l’image la réalité algérienne et surtout la voix de ceux qu’on a réduits au silence.

Pensez-vous avoir brossé un tableau complet de la réalité algérienne ?

J’ai essayé de montrer le maximum de choses : l’islamiste, la sœur musulmane, Miss Algérie, le stade, la discothèque, le village kabyle, les victimes du terrorisme, les hittistes, l’armée… Aussi, en filmant Graffenried qui est suisse, je montre comment l’Occident nous voit. J’ai hésité sur la scène où Michaël photographie les gens au cours de la prière, une image si choquante pour nous, mais finalement j’ai choisi de la laisser pour susciter l’interrogation : irrespect ? naïveté ? méconnaissance ? Il y a un montage accéléré. La scène des deux Algériens au restaurant est très métaphorique. Assis dos à dos et exécutant des gestes symétriques sur un fond de musique rock algérienne, ils peuvent être des Algériens qui ne se parlent pas.

Le texte ne contient pas de commentaire. Pourquoi ?

Justement, c’est ça la force du film. Je montre, mais je ne juge pas. L’image est plus forte que le texte.
C’est même le contraire de la photo. Dans le film, quelqu’un dit à Michaël qu’il n’a pas compris la photo.
Ce dernier répond qu’il a élaboré un texte explicatif. Mes images se suffisent à elles-mêmes. Par ailleurs, la juxtaposition des images mobiles et figées donne sa force au film. Les images des puits de pétrole s’opposant à celles de la misère posent le problème du partage des richesses du pays. 

Montrer le général Fodil Chérif peut prêter à confusion par rapport à l’orientation du film ?

Le choix de ne pas commenter répond à cela. Cette image n’est qu’une facette de l’Algérie. Je ne l’y identifie pas. Ceux qui ne le connaissent pas ne le reconnaîtront pas. Je le montre comme une figure représentative de l’armée. Je ne crois pas qu’il sache qu’il est dans le film.  J’ai fait un montage politique par lequel j’invite à la réflexion.

Matoub Lounès, figure emblématique de la revendication berbère, assassiné en 1998, a-t-il été relaté à des fins publicitaires ?

Pas du tout. Je parle de lui car il incarne, indépendamment de ses convictions personnelles, un combat pour une Algérie multiculturelle, libre et respectueuse de ses enfants. Le combat de Matoub est celui de tous les Algériens : Kabyles, Noirs d’Algérie, Chaouis, Touareg… tous unis. La chanson Yir Attan (la fatalité) me parle alors que je ne comprends pas le kabyle. En tout cas, moi, Noir algérien, je me reconnais dans son combat. J’aurais pu reprendre une chanson de Hasni, mais sa poésie n’est pas aussi puissante que celle de Matoub.

T. H.

Soyez le premier à commenter

Poster un Commentaire